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3 mai 92, deux motos filent sur une
route prioritaire en Belgique. A la sortie de la courbe d'un virage, un vélo coupe la
trajectoire du premier motard par la gauche.C'est la collision...
Deux corps qui volent en l'air. Un
mort, un blessé grave. Deux vies brisées...
Le soleil brille beaucoup ce jour-là.
Pas d'alcool, pas de vitesse, juste un peu de malchance, une étourderie, un avatar de la
vie
Si on m'avait demandé mes impressions le 3 mai 1992, j'aurais répondu
que l'épreuve est grande mais qu'étant donné les technologies et la médecine moderne
il n'y avait pas de raison pour que mon mari ne se remette pas debout dans les meilleurs
délais. Quinze jours plus tard, je me suis dit que ce serait un peu plus long et que la
Noël était un délai plus raisonnable.
Nous avons
fêté six fois la Noël et l'avancée est comme la bouteille à moitié pleine ou à
moitié vide.
En
réanimation, les jours passaient longs et monotones. Seule, je prenais mon malade en
charge, je lui passais des cassettes, je le rasais, je lui parlais, je lui massais les
membres et effectuais de petits mouvements au-dessus les barres du lit. Je lui tenais la
main. Les visites étaient assez libres, le matin et un long après-midi me laissaient le
cerveau vide et le coeur plein de larmes que je versais sur la route du retour (35 km
d'autoroute). On me disait: Rien à faire, juste attendre, ne rien tenter, ne rien
essayer. Attendre, impuissante
je me sentais coupable de ne rien faire de plus.
Après
quatre semaines de ce rythme, amaigrie de 7 kg, déçue par l'espacement des visites des
autres membres de la famille et des amis, je pris la décision de rapatrier mon mari. J'ai
depuis le départ pris cette décision de prendre mon mari chez moi car l'attente au lit
d'un malade en milieu hospitalier m'avait semblé incohérente. On m'avait parlé, d'un
dossier à monter pour un placement sur Berck. C'est loin, la route est mauvaise. Et
pourquoi ? Ré-attendre sans démarche active ? J'ai imaginé que la meilleure façon de
reconstituer le milieu habituel était de réintroduire le malade chez lui plutôt que de
ramener quelques objets familiers dans une chambre toute en froideur. Je ne visais qu'un
but: le réveiller, agir enfin.
Et voilà
comment j'ai installé mon mari avec trachéotomie et oxygène, sondes gastrique et
urinaire, dans un coma très profond dans notre lit. Et tout le rez-de-chaussée s'est
petit à petit transformé en un hôpital de campagne. Je n'ai jamais rencontré de
compréhension auprès des membres du corps médical, en passant des spécialistes aux
paramédicaux. Ma démarche est assimilée à une folie. Mon entourage apprécie que
l'ambiance soit plus agréable qu'en milieu hospitalier mais ne prête pas la main
estimant que j'ai choisi cette surcharge de travail.
Je suis
passée par toutes les vicissitudes du domicile. Il faut noter que l'hospitalisation à
domicile n'existe pas dans le Nord. Il faut apprendre à tout faire, ne jamais faire
confiance aux médicaux ou notre malade le paie très cher (rougeurs, brûlures avec
bouillotte, coupures de bague, sondes non fermées, perfusions non surveillées,
kinésithérapie bâclée, etc...) Au départ, on se tourne vers le spécialiste, la
neurologie est une science inconnue du commun des mortels. On vous propose le placement
longue durée, en milieu gériatrique, sous la forme : "Cinq mois !! Irrécupérable,
il y a près de chez vous deux bons hôpitaux, le V360 et le V240". Il y a un code ?
Des dérogations à obtenir ? Non c'est l'asile pour personnes âgées grabataires. Et
ultime conseil. "Pour ce type de placement On prendra vos biens, car je présume
qu'ils sont communs avec votre mari".
Et alors
j'ai assumé. Saint-Exupéry a dit : "Ce que j'ai fait, une bête ne l'aurait pas
fait". Cela devrait suffire pour vous faire comprendre.
Autrement,
j'ai subi comme tout le monde, le rejet de la famille, l'oubli de nos amis, le
désintérêt, voir même l'agacement pour ce malade qui ne se décide pas à partir vers
d'autres cieux "Où il serait mieux, ma bonne dame". Il y a la déprime qui rase
la psychose, les ennuis financiers, et n'oublions pas les gros, gros, très gros conflits
avec la sacro-sainte Sécu avec une petite annotation pour les administrations adéquates.
Il m'a
fallu plus d'un an et demi, pour avoir connaissance par hasard d'une association, pour
donner un coup de fil à quelqu'un qui vous écoute de la bonne oreille. Un peu de
difficultés a été de s'entendre, sur la méthode, entre le milieu hospitalier et le
domicile. Et apprendre qu'il n'y a pas de solution ni avec l'un , ni avec l'autre. Retour
à la case départ. Et continuer à assumer seule soins infirmiers, massages, stimulation,
kinésithérapie. Décider d'un protocole médical: essais de nourriture, enlever
trachéotomie puis sonde gastrique, verticaliser, etc... sortir à l'extérieur, même
aller depuis 1994 en station de montagne avec notre superbe traîneau des neiges
(curiosité: un "végétatif" sur le télésiège).
Six ans
sont passés, entiers, lourds, inhumains. Mon mari est toujours parmi vous. Végétatif
chronique, un peu sorti de son long voyage temporel, il est à l'écoute de son
environnement, apprécie un baiser dans le creux du cou, clignote des yeux pour signaler
qu'il est là mais reste sans réponse de communication. J'essaie de lui donner une vie
acceptable vu que Dieu n'a pas voulu lui redonner son souffle divin. Il est jeune, je
garde un espoir et je préviens la terre entière que le premier qui éteint la petite
bougie qui brûle dans mon long tunnel je le foudroie.
En 1995,
j'ai visité une salle d'hôpital. Je ne raconterais pas l'enfer de Dante, mais c'est
l'impression qui m'est restée. J'ai demandé: "où sont les familles?", on m'a
dit que 90% étaient sans visite, abandonnées. On ne pouvait pas leur apporter des
fleurs, il n'y avait pas de table pour les poser, alors j'ai créé R'éveil trois jours
plus tard. Pour ceux qui n'avaient plus de parole, les derniers exclus de la terre.
MM
P.S.: les statistiques
nous informent que les motards représentent 10% des traumatisés crâniens, les piétons
écrasés 15%, et les victimes d'agression 20%. Il m'est agréable de déclarer qu'il est
plus dangereux d'être pharmacien que de pratiquer la moto. Contrairement aux idées
reçues.
Pour faire suite à
ce témoignage, vous trouverez également sur ce site un récit
sur l'organisation de la vie quotidienne . |